"APRES LA FIN" -  Cap vert et Argentine - 2016-2017 -

 

 

 

 

APRES LA FIN                                                       

Iode et rouille. Un chaos de structures métalliques recrachées sur le rivage, caillots brunis expulsés par une humanité fébrile, violentés par la mer et le temps, exilés au large des vivants. Entrelacs de fer érodé, amas froissés par les tempêtes, géants déchus vaincus par l'oubli, leurs carcasses maculent de rouille le sable, la roche, grincent dans le silence et le vent.

 

L'œil tangue, bascule et retrouve son équilibre pour mieux plonger dans la limite incertaine de l'océan et du rivage, accroche l'ébauche d'une forme ravagée, spectrale, et s'y ancre jusqu'à la prochaine déferlante. Francesca Piqueras garde la lame à l'œil, sans vague à l'âme. Témoin inspiré d’une dérive de l’humanité, ses épaves s'imposent comme une parabole des forces en mouvement : l'inventivité de l'homme contre la destruction inéluctable. 

 

Du Cap-Vert à l’Argentine, son regard sans concession fouaille les ombres, sonde les coques défoncées, les bastingages branlants, les superstructures anéanties et fait percer la splendeur des monstres livrés au ressac. Entre deux vagues, entre deux océans, ces sculptures abandonnées à ciel ouvert forgent pour notre mémoire collective une scène où se joue rien moins que le destin de l'homme. Immanence de la matière contre persistance de l'esprit, lutte perpétuelle contre le temps, contre le chaos : une trame universelle où chaque photographie sublime ces fantômes décomposés pour mieux nous interroger sur notre devenir.

 

Francesca Piqueras appartient à une nouvelle émergence d’artistes photographes, liés par l’urgence de donner un sens au chaos, quitte à le magnifier. Chaque structure désarticulée orchestre, derrière l'ombre d’une mort promise, l'abandon, le renoncement, l'oubli de notre condition humaine dans une apocalypse post-industrielle, jonchée de squelettes méconnaissables suspendus dans l'imminence de leur anéantissement.

 

Une vision aigüe d’une société sans ancrage, dont les repères s’égrènent au gré des échouages. Ces paysages déchirés, blessés par un mal-être qui ronge plus que la rouille, plus que le temps lui-même, préfigurent la fin.

 

Une apothéose sans métaphysique, une transmutation de la matière et de la lumière où s'écrit en une fulgurance douloureuse le destin d'une humanité ignorante de sa propre destruction.

 

Joel Halioua - Décembre 2016 - Janvier 2017 -

 

 

 

 

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© Francesca Piqueras Photographe