"PANIC POINT" - Pérou - 2015
« PANIC POINT »
Francesca Piqueras
Suite à mon voyage au nord du Pérou, entre Lobitos et Cabo Blanco, à la frontière de l’Equateur, je vous propose une série de photos nommée "Panic Point", nom donné à un spot de surf à Cabo Blanco, où Hemingway allait pêcher le Marlin.
A Panic Point, les surfeurs n’ont pas le droit à l'erreur. Leur seule autre option, sortir de la vague avant de s’échouer contre des rochers qui ne leur laisseraient aucune chance de survie.
Je dois dire que cela a une certaine résonance en moi.
Tout a commencé lorsque j'ai retrouvé sur un réseau social une vielle connaissance péruvienne. Sur son mur, la vague parfaite. Mais plus encore, cachée derrière celle-ci, une forme étrange… Ce fut pour moi un choc visuel. J'avais enfin trouvé ce que je cherchais : photographier ce qui n’est pas directement accessible dans l’objectif. Les plateformes pétrolières que j’expose sont souvent imposantes et arrogantes. Celles-ci sont justement occultées par une masse, une matière d'une force incroyable. Elles me semblaient fragiles et expressives. C’est précisément ce point-là que je voulais explorer. La vague, dont les embruns entravent le regard, donne une force aux éléments masqués que sont les plateformes. Paradoxalement, face à la force menaçante de la mer, ces structures presque noyées deviennent visuellement vulnérables.
Les paradoxes m’ont toujours attirée.
Face à la mer, toute une série de paillotes accueillent les surfeurs du monde entier. Derrière, ici et là, de vielles maisons en bois abandonnées abritent des histoires qui hantent encore les murs et l’imaginaire très riche des Péruviens. Impossible de ne pas entendre au fil d’un trajet en taxi, ou d’une conversation avec un local, les histoires à dormir debout, comme celle de cette femme, poignard à la main, hantant telle ou telle maison, vêtue de sa robe de mariée blanche, maculée du sang de son époux et de tous les convives. L'histoire raconte que la mariée cherchant son jeune époux dans la fête qui battait son plein le trouva à l’étage dans les bras de sa meilleure amie. Folle de douleur, elle les tua tous les deux, ainsi que tout ceux qui entrèrent dans la chambre, puis elle se donna la mort. Depuis, elle errait, menaçante.
Dans ce village presque désert, battu par le vent, où seules les routes payées par les compagnies pétrolières pour faire circuler leurs camions sont en bont état, je discerne les silhouettes de chiens errants et de gallinazos, une espèce de vautour charognard. Derrière le village s'étend le désert envahit par les pipelines, aussi vivantes que des autruches cachant leur tête dans le sol.
J’ai parcouru cette côte sur plus de 150 kilomètres. Les plateformes qui se dessinent à l’horizon me paraissaient moins menaçantes que les dizaines de lions de mer échoués morts sur la plage, suintant le pétrole, ou tués par balles par les pêcheurs. Sans compter les hippocampes rapportés par les courants d'une mer plus clémente, morts par dizaines, étalon absolu d’une pollution bien présente.
Je ne juge pas la folie des hommes.
Je la regarde et j’y aperçois ma part d’ombre.
J’observe les cicatrices, les balafres inscrites dans notre paysage.
Elles nous racontent et écrivent notre histoire.
Ces cicatrices me rappellent que tout acte a sa réponse.
Celle-ci peut être violente, mais émouvante aussi.
La prise de conscience pire encore : PANIC POINT.